Dans l’atelier de peinture, Bourdelle ne sépare pas ses propres créations de sa collection personnelle – collection de bric et de broc, constituée au hasard de ses voyages et de ses coups de coeur chez les antiquaires. Au regard de l’artiste ces « belles choses » ont déjà la charge d’objets fétiches, riches de toute une mémoire et d’une tradition où puiser de l’inspiration.

BOURDELLE DANS SES MEUBLES

« J’ai rapporté du midi de belles antiquités. […] Une chose qui vous intéressera, c’est un tabernacle tout en vieux bois doré. Je le crois de la fin Louis XIV. » Bourdelle, lettre à Auguste Rodin, début 1897. À compter de 1893, Bourdelle meuble petit à petit l’atelier de trouvailles dénichées chez les brocanteurs. Ce mobilier de famille qu’il s’est ainsi choisi est toujours en place et l’on retrouve – de droite à gauche en entrant – son bureau en noyer et peuplier, le meuble en chêne où il range ses crayons pastels, la commode en noyer, le lit de repos d’époque Restauration sur lequel les modèles prennent la pose, quand lui-même n’y fait pas la sieste. Le pétrin en noyer et l’armoire-vitrine où il expose sa collection de terres cuites « antiques » encadrent la cheminée. Quant au tabernacle sculpté « tout en vieux bois doré », il serait plutôt du xviiie siècle et d’origine espagnole ; flanqué de deux colonnes torsadées, couronné d’un faisceau de rayons et d’angelots, ce mobilier religieux est au coeur du sanctuaire de l’atelier. « MON INGRES, MON TITIEN »…

LA COLLECTION DE PEINTURES

Sur les cimaises, les huiles immortalisant la famille et les proches font pendant aux tableaux que Bourdelle, dans son enthousiasme, attribue à de grandes mains : « Mon Ingres, mon Titien »… mais le beau Portrait de femme dans lequel il veut reconnaître la maîtresse d’Ingres sort plus vraisemblablement de l’atelier d’Hyppolyte Flandrin (1809-1864). Vénus à sa toilette est une réplique ancienne d’un tableau célèbre du Titien. La peinture décorative du dessus-de-porte, traitée dans un camaïeu de rose et de gris, est un travail italien de la fin du xviiie siècle. Le Vase de fleurs d’Adolphe Monticelli (1824- 1886) rappelle la passion de Bourdelle pour la technique picturale du peintre marseillais : « L’animal ! Il peint avec des pierres précieuses ! »

LE DAVID DE REIMS ET LA COLLECTION DE SCULPTURES

« Le David, grande figure dont j’ai chez moi la forme unique […]. C’est à peine s’il tient sous mon toit. Le soir, parfois, je t’approche avec une lampe […] et tu me parles dans la nuit. » Bourdelle, « Le David de Reims », in leçon du 8 mars 1912 à l’Académie de la Grande Chaumière. En 1908 Bourdelle achète, chez un antiquaire rémois, le moulage en plâtre pris sur l’original du David luttant contre Goliath de la cathédrale de Reims, détruit au cours d’une campagne de restauration – radicale – de la façade occidentale. Bourdelle se sent le lointain héritier de la sculpture médiévale dont on retrouve deux beaux exemples dans son atelier : le grand Christ en croix, en bois polychrome du xive siècle et un fragment de calvaire, le Saint-Jean en bois polychrome du xve siècle que Rodin lui enviait. Il voisine avec une sculpture archaïque grecque de très haute qualité, une Tête de divinité en calcaire de Chypre du ve siècle avant J.C. car, aux yeux de Bourdelle, « l’archaïsme est de tous les temps, c’est l’art à la fois le plus humain et le plus éternel ».

L’ARMOIRE-VITRINE AUX « ANTIQUES »

L’armoire-vitrine présente la collection des terres cuites « antiques » de Bourdelle selon une disposition assez proche de celle que l’on peut voir sur un cliché pris en 1917, (cf. « Album de famille »). La collection rassemble à la fois des figurines dites gallo-romaines – Femme voilée tenant une corne d’abondance, Vénus accompagnée de cinq personnages, Petites têtes de femme ; des terres cuites dites gréco-romaines – Enfant au cochon ; ou encore des terres cuites grecques dites pour certaines de Béotie – Déesse au péplos ; et pour d’autres de « style Tanagra » – Groupe Bachique, Cavalier, Aphrodite aux coquilles… L’authenticité de ces figurines ne préoccupait guère Bourdelle et toutes se sont en effet révélées des imitations modernes assez libres – voire fantaisistes – des années 1880. Cette antiquité « fin de siècle » répond indéniablement au goût d’une époque et à celui de Bourdelle, aux recherches plastiques du sculpteur hanté par le rêve de la Grèce primitive.