Pénélope, version avec socle, photo Nicolas Borel

Pénélope, Colonne charnelle de l’attente

Au Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1912, la Pénélope de Bourdelle provoque une véritable révolution : la plastique de cette colonne vivante subvertit la tradition du « Beau idéal », renverse l’art des proportions. Sept ans durant, Bourdelle travaille à ce chef-d’œuvre de l’attente amoureuse. La charge symbolique est d’autant plus forte que Pénélope emprunte les traits de deux femmes éprises de l’artiste. On y retrouve les formes généreuses de sa première épouse, Stéphanie Van Parys, et la posture de son élève Cléopâtre Sevastos, la nouvelle muse qui devient bientôt sa seconde femme. Une sensualité rauque et tranquille se dégage de la minuscule tête gracieusement penchée vers le bras replié, du hanchement discret qui anime les plis de la robe telles les cannelures d’une colonne : « … Mille plis d’étoffe de laine, […] rythmant les reins, les cuisses rondes en colonnes avec, en chapeau souverain, les hanches fortes toutes en lignes de douceur. » (Bourdelle, « Les Cariatides du vent », 1911). La monumentalité de cette masse animée est décuplée par le socle géométrique d’où elle s’élève. Ni accessoire ni présentoir, ce piédestal immaculé participe intimement de l’architecture d’une œuvre dont « l’œil insatiable » de Picasso a saisi toute la modernité.