L'impasse du Maine
« Je m’en fus dans l’impasse du Maine. Dans cette cité vouée aux arts, le sculpteur est une denrée commune. Il y a dans cet amas de vieilles bâtisses autant d’ateliers de statuaire que de brins d’herbe entre les pavés. »
Vaugirard, ancienne commune rattachée à Paris en 1860, est à la fin du 19e siècle un quartier faubourien où l’urbanisation n’a pas encore aboli jardins, maisons et chemins de terre… Une aubaine pour nombre de statuaires en quête d’espace et de locaux de plain-pied. De véritables cités d’artistes voient le jour, telle l’impasse du Maine, devenue rue Antoine-Bourdelle en 1930, où les sculpteurs occupent les rez-de-chaussée tandis que les peintres installent leurs ateliers dans les étages.
L'impasse du Maine
L’impasse n’est guère qu’un boyau bordé de petites bâtisses grises, d’échoppes et de hangars, une chaussée boueuse aux pavés disjoints, gorgée de flaques à la moindre ondée. Aux dires d’un critique, « la clientèle des peintres mondains n’aurait jamais osé s’y aventurer ».
Son calme contraste avec l’agitation de la gare et la circulation trépidante des boulevards : on entend les oiseaux chanter, les enfants jouent au milieu de la chaussée, des poules picorent entre les pavés… On s’imaginerait « plutôt en quelque ville de province qu’à deux pas de la rue de Rennes ». Antoine Bourdelle s’en réjouit auprès d’un correspondant montalbanais : « Un immense jardin, de six mètres sur sept environ… planté d’arbres de toutes sortes, de rosiers, d’œillets et que sais-je encore ? » Il est réveillé par « les piaillements des pierrots, [qui] assourdissent délicieusement [sa] maison ». Un critique se grise d’une « floraison odorante de lilas et de pommiers ». L’atmosphère est propice à la méditation et au travail.
Bourdelle s’est établi au fond de l’impasse, au numéro 16, en janvier 1885, dans l’un des nouveaux ateliers loués par le menuisier Pierre Auguste Paillard. Il se forme un temps auprès de Jules Dalou, son voisin du 18. En face, au 11, vivent les sculpteurs Jean Turcan (praticien d’Auguste Rodin qui mit aux points Le Baiser), Georges Récipon (auteur des Quadriges s’envolant du Grand Palais) et Augustin Antonini (le mouleur de Bourdelle). Au 9, José de Charmoy crée le Monument à Baudelaire, inauguré au cimetière du Montparnasse à l’automne 1902.
Le 16 est une fourmilière d’artistes. Si le peintre Eugène Carrière y effectue un bref passage (1886-1887), le sculpteur Jules Cambos (auteur de La Femme adultère) y demeure durablement (1886-1914). Des voisins deviennent des amis, ainsi des peintres René Prinet et l’Américain Orville Root. Certains élèves ou praticiens de Bourdelle habitent sur place, comme Gaston Toussaint.
Avec le temps et le succès, Bourdelle investit tous les ateliers du 16 puis d’autres dans l’impasse, et encore des cours, des caves et des jardins, tant son œuvre monumentale et foisonnante exige d’espace de travail et de stockage. Mais selon Sándor Kémeri en 1928, rien n’altère la quiétude du lieu : « Dans la paix sereine de l’impasse, chante la symphonie du matin d’été ».
Valérie Montalbetti
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