Héraklès, moderne et barbare
À l’aube du XXe siècle, la modernité se décline dans une volonté de rupture ou dans un mouvement de retour. Retour à l’énergie primordiale du mythe, aux formes synthétiques d’un archaïsme nourri d’influences très diverses – antiquités gréco-romaines, civilisations africaines ou océaniennes.
Au Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1910, Héraklès archer stupéfie la critique comme le public. Les musées se l’arrachent. À 50 ans, Bourdelle accède à la célébrité.
Tout commence par la pose d’un modèle athlétique. Puisant aux sources plastiques d’une Antiquité toujours plus lointaine, Bourdelle donne corps à la virilité d’un héros « moderne et barbare ». Le geste se suffit : ni flèche ni carquois. Les pieds deviennent des pattes de lion, les mains des griffes.
La musculature, taillée à vif, obéit à une combinatoire magistrale de tension et de déploiement. Pour Bourdelle, « C’est l’élan qui est la loi suprême. »
Filippo Tommaso Marinetti, chef de file du mouvement futuriste italien, rend un vibrant hommage à la dynamique de l’œuvre. Savant équilibre entre vides et pleins, entre droites et courbes, la prouesse de cette construction nourrit l’inspiration de sculpteurs cubistes de la génération suivante, comme Henri Laurens.
Anonyme
Le commandant DoyenParigot posant pour Héraklès archer dans l’atelier
Vers 1906
Négatif sur verre au gélatinobromure d’argent, vue stéréoscopique
Héraklès archer Sixième étude,
1906-1909, bronze, fonte Rudier
Photo © Stéphane Piéra / musée Bourdelle / Paris Musées
La genèse d’Héraklès archer est attestée dès 1906, grâce à une carte postale que Bourdelle adresse au commandant Doyen-Parigot, au début des séances de pose. Une série de huit études marque la distance progressive prise par le sculpteur à l’encontre du rendu naturaliste du modèle. À partir de la sixième étude, la tête s’aiguise, le relief de la musculature s’accentue, le corps s’arc-boute autour d’un vide béant, traversé par la courbe stylisée de l’arc.
Antoine Bourdelle (1861-1929)
Héraklès, Étude de dos, détourée à la gouache
Négatif gélatino-bromure d’argent sur plaque de verre
Bourdelle joue du médium photographique pour varier les points de vue sur les études d’Héraklès archer, réfléchir à leur construction. Dans cette étude de dos, le détourage à la gouache fait d’autant mieux ressortir la structure dynamique des vides et des pleins. Le bricolage de deux cubes de tailles différentes, posés sur une sellette, permet de changer l’axe d’orientation du rocher à l’oblique : dans cet essai, Héraklès domine sa proie. Le sculpteur peut ainsi évaluer l’horizontalité des lignes formées par les bras et les jambes du modèle.
Anonyme
Gaulois blessé
Album de photographies de Cléopâtre Bourdelle
Épreuve gélatino-argentique
Bourdelle n’entreprend jamais de voyage en Grèce, pays d’origine de sa seconde épouse, Cléopâtre. Mais son « musée de poche », composé de photographies et de cartes postales, est un véritable laboratoire visuel d’œuvres antiques, grecques en particulier. De la figure du Gaulois blessé exhumé sur l’île de Délos à Héraklès archer, la parenté plastique est lisible. On retrouve la morphologie géométrique des cuisses, articulées autour du vide.
Auguste Rodin (1840-1917)
L’Homme qui marche
1899
Bronze, fonte Alexis Rudier, 1927
Offert à Antoine Bourdelle par le musée Rodin, 1927
Vers 1900, Rodin porte un nouveau regard sur l’état fragmentaire des sculptures gréco-romaines, qui induit un surcroît d’expressivité plastique. L’Homme qui marche est né de l’assemblage d’une étude de jambes au modelé lisse et d’un torse, dont les crevasses évoquent un bronze archéologique. Délivrée de toute référence anecdotique, cette figure sans tête s’impose comme pure expression du mouvement.
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