Bourdelle a 24 ans et s’est installé depuis peu dans un atelier 16 Impasse du Maine lorsqu’il écrit cette lettre à un couple d’amis, Thérèse (1875-1933) et Louis Dispan de Floran (1869-1922).
Une correspondance croisée nourrie (1886-1909) atteste d’une étroite amitié entre eux.
L’intérêt principal de cette missive réside dans la description détaillée d’un événement majeur, les funérailles nationales de Victor Hugo : l’exposition du cercueil de l’écrivain sous l’Arc de Triomphe le 31 mai 1885 puis son transfert au Panthéon le 1er Juin. Le jeune sculpteur le relate en ces termes : « Un grand crêpe sur l’angle de l’arc de l’Etoile. Des drapeaux couverts de crêpe, les becs de gaz [?] allumés tout le jour. De grands trépieds au pied de l’arc de triomphe avec de grandes flammes. Des peintres, des dessinateurs partout. J’ai fait queue la veille de l’enterrement pour passer devant le corps exposé, j’ai subi 4 heures d’étouffement, d'écrasement, pour ne rien voir et à mon grand regret je n'ai jamais vu Hugo. »
«[...] Victor Hugo ? Demandez-vous. Je ne puis croire qu'il soit mort et pourtant ! J'étais à l'enterrement, au convoi qui est parti de l'Arc de l'Etoile à 11 heures et a défilé jusqu'à 8 heures du soir vers le Panthéon. Je portais une couronne de Montauban. Il y en avait un nombre infini, elles couvraient les bords du Panthéon. Le cercueil avait été exposé toute la nuit sous l'Arc de Triomphe de l'Etoile au pied d'un catafalque qui tenait toute la hauteur de la voute. Les cuirassiers éclairaient la scène avec des torches allumées, tout Paris était là. Victor Hugo a été porté sur le corbillard des pauvres et seul à quelques pas en arrière venait son petit-fils. Ensuite la famille Hugo, délégation et cætera. […] On a tous fait des vers, des dessins, des peintures, de la prose. J'ai appris sa mort un des premiers au salon par Monsieur de Hérédia avec qui j'étais en compagnie de M. Pouvillon et Pomairols. […] J'ai fait un quatrain pour une couronne de Montauban et un pour déposer aux pieds du cercueil. »
Bourdelle illustre son récit d’un croquis représentant le catafalque dressé sous l’Arc de Triomphe barré d’un long crêpe noir, les trépieds disposés de part et d’autre et la foule amassée alentour. Il recopie deux poèmes dont l’un fut « écrit dans la foule le 31 mai pendant l'exposition du corps sous l'Arc de Triomphe » : « A Victor Hugo / Ton âme va monter au sortir de ses voiles / Dans le ciel éclatant de l'immortalité / C'est ainsi que l'on voit devant l'éternité / S'augmenter lentement le nombre des étoiles ».
Claire Boisserolles
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