Exposition en cours
Isabelle Giovacchini, " Ce qui fut, ce qui est "
Du au
Gratuit - sans réservation
10h-18h du mardi au dimanche
Dans l'Aile Portzamparc
Commissaire : Colin Lemoine

Isabelle Giovacchini (née en 1982) élabore depuis des années un travail expérimental sur l’image photographique. Elle manipule des tirages anciens qu’elle efface, recadre ou surexpose afin de leur attribuer un sens nouveau, de les parer d’une poésie de surcroît. Subtiles, ses interventions détour(n)ent les clichés et déjouent les lieux communs, contrarient la tranquillité du regard. Tirages argentiques et plaques de verre sont réinvestis pour explorer la surface photographique, cette couche sensible accueillant les projections de l’artiste, puis bientôt les nôtres.
Ce contrepoint contemporain permet à Isabelle Giovacchini de déployer sa poétique de l’accident, faite de lacunes et de traces. Dans les réserves du musée Bourdelle, fréquentées assidument, l’artiste a prélevé des pièces sculptées ou photographiques. Cette exhumation constitue une réflexion sur la ruine du temps et la fragilité des choses : Isabelle Giovacchini livre ainsi des restitutions et des propositions qui donnent à voir autrement l’œuvre photographique d’Antoine Bourdelle, animé d’une souveraine passion pour le pouvoir des images.
Cet accrochage, composé de sept séries en forme de scénario visuel, offre d’approcher l’ampleur du travail d’Isabelle Giovacchini, dont les œuvres sont présentées régulièrement en France et à l’étranger.

Hélice
Soucieuse d’explorer l’esprit du lieu – le genius loci –, Isabelle Giovacchini a prélevé dans le jardin du musée Bourdelle différentes essences botaniques, sélectionnées pour leur qualité formelle ou leur singularité historique. Dans l’obscurité de son atelier, elle réalise ensuite des photogrammes en disposant les fruits de sa récolte – ici un chèvrefeuille – sur une surface photosensible exposée brièvement à la lumière avant d’être développée. Ces photogrammes, inventés au mitan du 19e siècle par les pionniers du médium photographique, engendrent des images très contrastées. En recourant à deux sources lumineuses simultanées, l’artiste parvient à restituer l’illusion savante du volume.
Virages
Ces photogrammes ont été réalisés à partir de deux tiges d’hellébores, issues du jardin du musée Bourdelle. Si les images produites sont en noir et blanc, le tirage a révélé une teinte délicatement rosée, sans doute liée à une impureté chimique dans le bain de fixation. Attentive aux altérations et aux accidents, Isabelle Giovacchini a conservé cette image involontaire jusqu’à la redoubler : après l’avoir scannée, elle en a tiré une image inverse, offrant au regardeur la contemplation d’un négatif et d’un positif nés de l’intervention du hasard.
Volte-face
Les réserves du musée Bourdelle conservent de très nombreux moules, qui permettent de tirer plusieurs épreuves en plâtre d’un même modèle. Nécessaires au processus de démultiplication de la sculpture, ces formes hétérogènes ressemblent à d’étranges chrysalides. Isabelle Giovacchini a exhumé des réserves plusieurs moules en vertu de leur ressemblance avec un visage, de leur conformation énigmatique ou de leur inscription (« Nuage ») qui, sans conformité avec la forme apparente, évoque la veine absurde de René Magritte. Photographiés dans la pâleur lumineuse de l’un des anciens ateliers du musée, ces moules forment une inquiétante galerie de figures apparaissantes, à l’image de la Muse de marbre que Bourdelle photographia afin d’en immortaliser la naissance.
Pénélope n’attend pas
Figure majeure de la sculpture de Bourdelle, Pénélope (1905-1912) donna lieu a plusieurs études et déclinaisons, parmi lesquelles Femme bras levés (1907) et Femme bras dans le dos (1908), qui se distinguent par le mouvement de leurs bras, presque chorégraphique. Dont acte : autour de la figure centrée de Pénélope, Isabelle Giovacchini a disposé deux épreuves de chacune de ces déclinaisons afin de former une danse syncopée qui n’est pas sans évoquer la chronophotographie, qui consiste à décomposer le mouvement d’un être ou d’un objet animé. Le titre de cet ensemble, qui joue avec le titre exhaustif de la sculpture originelle (Pénélope attendant Odysseus), suggère que le royaume du Féminin est à défendre, loin de toute immobilité.
L’Eclipse
Bourdelle affectionnait particulièrement cette Vénus à sa toilette (1906), délicate baigneuse aux accents antiques et cézanniens à laquelle il consacra de nombreuses photographies, sous tous les angles. Isabelle Giovacchini a retenu deux de ces tirages photographiques, soumis grâce à un trépied à une lumière hors-champ, tantôt rasante et tantôt frontale. Le jeu intuitif de la lumière engendre des effets capricieux de surface jusqu’à éblouir l’image, dont l’artiste a ensuite inversé les valeurs pour la transformer en épreuve étrangement obscure, semblable à un négatif.
Spectres
En 1905, dans son atelier de peinture, Bourdelle photographia deux femmes anonymes, vêtues d’une ample robe blanche. Au revers de l’un des tirages, une inscription nous apprend que ces deux sœurs, « une brune et une rousse », posèrent pour un pastel (disparu). Cette mention manuscrite, sans doute de la main de l’épouse de Bourdelle, introduit poétiquement de la couleur dans le noir et blanc de l’image, en libérant l’imagination. Elle suggéra à l’artiste un protocole spécifique : parfois filtrée de rouge, une source lumineuse court sur la surface du tirage original et dessine une trajectoire lunaire ou solaire, diaphane ou crépitante. Ouaté par ce halo ectoplasmique, le visage de la femme debout parait se dérober et s’absenter, de même que sur une photographie estompée que Bourdelle réalisa de son marbre Le Baiser, ici exposée en marge de ce polyptique.
[Sans titre]
Cette vitrine donne à voir la polysémie du travail d’Isabelle Giovacchini et son goût éprouvé pour les empreintes et les emprunts. Sur l’« album de famille », produit par le musée et présenté dans l’atelier de peinture, l’artiste dispose un papier de soie froissé, comme pour signifier la grisaille du souvenir. Le moulage en plâtre d’un œil isolé de l’emblématique Héraklès archer (1906-1909) fraie avec un moule étrange, dont l’artiste propose une restitution photographique sur la cimaise voisine. Des compositions d’après des plaques de verre originales endommagées et des photogrammes, élaborés à partir d’essences florales du jardin du musée Bourdelle, affirment le pouvoir de l’artifice photographique. Ces morceaux choisis, parfois mystérieux, révèlent des formes et des gestes développés dans les séquences du présent accrochage.

Suivez l’actualité du musée Bourdelle
Abonnez-vous à notre newsletter