Atelier de peinture
Comme l’atelier de sculpture où bat le cœur du musée, l’atelier de peinture est un témoin de la création à demeure. Vers 1893, Bourdelle s’installe dans ces murs mitoyens de l’échoppe de menuisier-ébéniste que son père a ouverte au rez-de-chaussée du même pavillon, à l’entrée du 16 de l’impasse du Maine. Dans le très riche fonds de photographies anciennes du musée, une série de clichés donne un aperçu de l’atelier de peinture au quotidien. Ce nouveau territoire est propice au tête-à-tête avec soi-même ou avec les modèles dont Bourdelle fait parfois le portrait à l’huile ou au pastel. Bourdelle y réunit volontiers la famille, des amis et des élèves proches.
Le goût marqué de Bourdelle pour l’archaïsme est particulièrement manifeste dans sa collection de sculptures et meubles anciens : un tabernacle en bois doré du XVIIIe siècle, un moulage en plâtre du monumental David de la cathédrale de Reims, un Saint Jean en bois polychrome du XVe siècle, ou encore les terres cuites antiques présentées dans l’armoire-vitrine.
Sur les cimaises et les sellettes, au milieu de sa collection de bric et de broc et de son mobilier chiné, Bourdelle présente ses propres créations – sculptées ou peintes – à la curiosité des amateurs. Pour le visiteur d’aujourd’hui, comme pour les hôtes d’autrefois, pousser la porte de l’atelier de peinture, c’est entrer dans l’intimité d’un monde intérieur, partager l’histoire d’une œuvre et d’une vie.
Collection antique
Conseilleur de Rodin pour l’enrichissement de sa collection d’antiques, Bourdelle entame à son tour une collection nettement plus modeste, en rapport avec ses moyens financiers : elle tient presque tout entière dans l’armoire vitrée. À l’exception de la belle tête barbue en calcaire de Chypre datée du Ve siècle avant J.-C., la majorité des pièces sont des terres cuites.
À compter de 1904, Bourdelle achète ses premières figurines gallo-romaines comme la Femme tenant un bélier, puis des pièces grecques du Ve siècle avant J.-C., des figurines béotiennes d’époque classique où l’on reconnaît une tête de « Tanagra », une Péplophore, une grande Protomé polychrome, peut-être repeinte par Bourdelle lui-même. Elles côtoient des lécythes attiques – ces petits vases cylindriques à figures noires – et des œuvres d’Italie du Sud d’époque hellénistique comme Nymphe et Pan, mêlées à quelques pièces étrusques plus anciennes, comme une petite Koré du VIe siècle avant J.-C.
La collection comporte un certain nombre de faux et d’imitations modernes comme Aphrodite à la coquille… Mais l’authenticité de ses antiques ne préoccupe guère Bourdelle, qui y trouve d’abord matière à rêver.
Collection de grands maîtres
Collectionneur passionné, Antoine Bourdelle réunit un ensemble de peintures alors attribuées à des maîtres. Il acquiert ainsi une Vénus à sa toilette, censée être un « Grand et sublime Titien ». Il s’agit en fait d’une copie ancienne de la Vénus au miroir aujourd’hui conservée à la National Gallery of Art de Washington.
Au-dessus du bureau en pente, on remarque un somptueux Portrait de femme brune dans un paysage, richement vêtue d’une robe en satin gris perle, ornée de dentelle noire et de nœuds cramoisis. Bourdelle l’acquiert comme une œuvre de Jean-Auguste-Dominique Ingres, son illustre compatriote de Montauban. Il croit retrouver dans le magnifique modelé de l’épaule et de la nuque la technique du maître. Le tableau est aujourd’hui attribué au cercle d’Ingres, possiblement à son élève Amaury-Duval.
La collection moderne
Dans la continuité de son activité de professeur, Bourdelle s’intéresse à de jeunes artistes contemporains, qui lui semblent talentueux et prometteurs. Il leur prodigue des conseils et les fait bénéficier de son entregent.
Au Salon des Tuileries de 1927, il découvre ainsi deux peintres qu’il décide de prendre sous sa protection, le suisse Marcel Poncet et le yougoslave Milo Milunović. Ce dernier devient par la suite un artiste majeur de Serbie, fondateur de l'Académie des Beaux-Arts de Belgrade en 1937. Bourdelle acquiert la Nature morte d’inspiration cubiste admirée au Salon de 1927, et l’accroche au mur de l’un de ses ateliers.
Bourdelle favorisait aussi la présentation de jeunes artistes dans les galeries parisiennes. En 1920, il obtient ainsi que le peintre Louis-Mathieu Verdilhan expose à la prestigieuse galerie parisienne La Licorne, et il rédige une préface élogieuse pour le catalogue.
Bourdelle peintre et pastelliste
Connu comme sculpteur, Antoine Bourdelle œuvre également comme peintre et pastelliste, surtout à ses débuts.
Il réalise plusieurs autoportraits peints, dont deux sont exposés : l’un à 17 ans, laissé inachevé, et l’autre à 47 ans, coiffé d’un chapeau de paille, très marqué par l’art de Cézanne et peut-être créé pendant l’été à Villars-de-Lans en Isère. Plusieurs petites esquisses peintes représentent Marie Laprade, premier grand amour de Bourdelle, notamment le charmant Portrait à l’ombrelle de 1892.
Bourdelle est également un pastelliste remarquable. Il aurait créé environ trois cents pastels, essentiellement des portraits féminins, aux effets vaporeux, exposés au Salon dans les années 1890. Ces œuvres de commande constituent une source de rémunération précieuse pour le jeune artiste, lui permettant de financer ses travaux de sculpture en attendant le succès. Placé au-dessus du meuble à pastels, le saisissant portrait de La mère d'Augustin Quercy témoigne de sa maîtrise.
Bourdelle et la Cathédrale de Reims
Le colossal moulage du David, aux bras levés tenant le glaive, constitue un témoignage exceptionnel de la célèbre cathédrale de Reims. Car l’œuvre originale en pierre, sur laquelle il a été moulé, a été détruite. En 1906, des figures en pierre de la façade occidentale de la cathédrale étant abîmées, le service des Monuments Historiques décide de les remplacer par des copies. Sans doute pour servir de référence aux figures nouvelles, les originaux sont moulés sur la façade avant leur destruction, dénoncée par de nombreux artistes, Rodin en particulier.
Les moulages sont récupérés par un antiquaire. C’est ainsi que Bourdelle acquiert deux David en plâtre, issus du décor de la grande rose de la cathédrale. Acquis en 1908, celui qui est présenté dans l'atelier de peinture est installé par Bourdelle lui-même, qui lui consacre en 1912 une Leçon à l'Académie de la Grande Chaumière.
Cette œuvre atteste l’attachement de l’artiste pour Notre-Dame de Reims, qu’il emmène ses élèves visiter et dont il possède d’autres moulages, notamment des têtes de statues des portails. Bourdelle est au désespoir lors de la destruction partielle de l’édifice par les bombardements allemands en septembre 1914. Il réalise alors des dizaines de dessins aquarellés, où des anges tentent de parer la chute des pierres et statues.
Stéphanie Van Parys Bourdelle
Plusieurs œuvres représentent la peintre Stéphanie Van Parys, première épouse d’Antoine Bourdelle, mère de son fils Pierre né en 1901. Leur divorce est prononcé en 1910.
Bourdelle exécute plusieurs portraits peints de sa compagne, notamment en rêveuse assise dans un jardin (à gauche de l’armoire vitrée), et un portrait intime avec son fils Pierre dans une chambre bleue (à droite de l’armoire). Stéphanie pose pour plusieurs sculptures, notamment Le Nuage, La Mélancolie, ou le visage de Pénélope, et Bourdelle la photographie abondamment.
Sur l’une des prises de vue, sa compagne pose nue, de dos, le buste penché en avant et le pied gauche posé sur le lit. Il transcrit cette posture dans deux œuvres (près du lit de repos), l’une peinte, l’autre modelée. Le décor intime disparaît pour devenir, en peinture, un nu dans un paysage ; en sculpture, la scène prend une tonalité mythologique : la jeune femme devient Atalante, tenant dans ses bras les pommes d’or du jardin des Hespérides déposées par son prétendant Hippomène.
Cléopâtre Sévastos Bourdelle
La vie de Cléopâtre Sévastos, seconde épouse d’Antoine Bourdelle et créatrice du musée, est évoquée par quelques œuvres. Au-dessus du lit de repos, un grand portrait la représente enfant, en compagnie de ses deux sœurs. Issue d’une famille aristocrate grecque, Cléopâtre vient à Paris se former à la sculpture, après une première initiation à Athènes. Elle entre dans l’atelier de Bourdelle fin 1904 et devient sa muse, lui inspirant de nombreuses œuvres, comme la Femme sculpteur au repos, où elle pose en blouse d’atelier, dans un hanchement marqué, sa coiffure nattée relevée sur le haut de la tête, le marteau à ses pieds. Elle est appuyée sur une sculpture ébauchée dans la pierre : une figure ramassée sur elle-même, la tête penchée vers le sol.
Devenue la compagne de l’artiste, elle renonce à la sculpture. Leur fille Rhodia nait en 1911.
Pour permettre à Bourdelle de se consacrer pleinement à son œuvre, elle prend en charge la gestion des ateliers, en véritable chef d’entreprise : comptes d’ouvriers, surveillance des moulages et des fontes, planning des modèles et élèves, relations épistolaires, négociations avec la banque... Et si nécessaire, elle participe aux travaux d’agrandissement des sculptures.
Bourdelle met en exergue ce caractère déterminé dans le portrait un peu austère exécuté vers 1912-1913, posé sur la cheminée. On reconnaît son emblématique coiffure aux nattes plaquées.
Rhodia Dufet Bourdelle
Sur un ancien pétrin (coffre en bois à fond arrondi, dans lequel on conservait la farine et on pétrissait la pâte à pain), deux bustes en plâtre évoquent Rhodia, la fille adorée de Bourdelle, née en 1911 en Grèce.
Bourdelle livre un buste gracieux et espiègle de sa fille, intitulé Amourette. Il en existe une version en pied dans le jardin intérieur, où Rhodia ailée, en équilibre sur une jambe, semble un lutin malicieux surgi des buissons.
Plus tard, la sculptrice Marguerite Cossaceanu représente Rhodia en jeune fille souriante et intériorisée dans une tête exposée au Salon des Tuileries en 1936. Élève roumaine de Bourdelle à l’Académie de Grande Chaumière, Cossaceanu œuvre également comme praticienne, chargée de tailler les œuvres du maître, à son atelier. Épouse du médailliste André Lavrillier, elle fait carrière à Paris et Bucarest ; c’est une portraitiste réputée, auteur des bustes d’Alberto Giacometti et Georges Enesco. Longtemps après la mort du sculpteur, elle continue de fréquenter Cléopâtre et Rhodia Bourdelle.
Suite de la visite
Suivez l’actualité du musée Bourdelle
Abonnez-vous à notre newsletter