Exposition passée
Bourdelle devant Beethoven
Du au
Entrée gratuite - sans réservation dans la limite de la jauge
En 2020, Beethoven (1770-1827) aura vu le jour il y a tout juste 250 ans. Une occasion que le musée ne pouvait manquer de célébrer, Bourdelle est assurément l’un des artistes ayant été le plus influencé par la musique, mais aussi par la figure – au sens physique et symbolique –, du compositeur allemand. Fondée sur une identification, cette hantise se traduit par un corpus pléthorique d’œuvres hétérogènes : Bourdelle a réservé quelque quatre-vingts sculptures à Beethoven, mais aussi une vingtaine de dessins et de photographies. Peuplé de sculptures, de photographies, de dessins et d’archives, "Bourdelle devant Beethoven" illustre l’histoire d’une obsession, peut-être même d’une filiation, si l’on veut bien relire l’aveu de Bourdelle lui-même : « À mon tour, avec une préméditation tenace, j’ai pris la parole après lui. »
Les podcasts du cercle #5 : Comprendre la fascination de Bourdelle pour Beethoven avec Colin Lemoine (20 minutes)
Beethoven est un artiste total, maudit, frappé par une surdité que console et sublime une musique enfiévrée. Avec lui, depuis lui, les créateurs auscultent les passions intimes et les noirs profonds, les tourments et les visions, la joie électrique comme l’angoisse métaphysique.
En 1901, émancipé du naturalisme des débuts, Bourdelle exécute son Grand masque tragique, une grimace extraordinairement informe dont le critique Mécislas Golberg pressent qu’elle n’offre « que deux issues : l’ordonnance ou le néant ».
Abandonné par un corps qui n’entend plus, défait par l’angoisse, Beethoven incarne l’artiste mélancolique, absorbé par des doutes profonds et des méditations abyssales. La tête lourdement inclinée sur son bras replié, Beethoven accoudé (1903) se souvient assurément d’une fameuse gravure d’Albrecht Dürer qui, quatre siècles plus tôt, définit la position archétypique de l’homme mélancolique.
Beethoven est un astre sombre, crépusculaire. Et si Bourdelle ose regarder le soleil noir en face(s), il ne saurait se résoudre à livrer de simples têtes et de simples masques. Nombreuses, ses recherches sculptées sont extrêmement variées, et inventives. Le compositeur apparaît tantôt sur un rocher, en idole romantique, tantôt sur la croix, en Christ païen.
Si Bourdelle livre de nombreuses déclinaisons du visage de Beethoven, il ne renonce pas pour autant à déployer monumentalement cette figure obsédante. Dès 1903, il entreprend de représenter le compositeur en pied, sur un rocher ou sur une falaise, face aux éléments, se souvenant peut-être des photographies de Victor Hugo lors de son exil à Jersey.
Au cours de son incessante activité de dessinateur, Bourdelle a consacré à peine quarante feuilles à la figure de Beethoven, quoique le sujet l’ait hanté continuellement. Ses premières années à Paris coïncident avec ses premières ébauches de composition pour un monument, non réalisé. Ici, seul un piano rappelle la musique.
Pour les musiciens comme pour les peintres et les sculpteurs, Beethoven ouvre la voie au « tempérament », à l’intériorité pure. Désormais, à compter de ses sonates et de ses symphonies, seuls comptent les tréfonds de l’âme, ainsi que le résume parfaitement le philosophe et écrivain Emil Cioran : « Beethoven a vicié la musique : il y a introduit les sautes d’humeur, il y a laissé entrer la colère. »
À quoi songe Beethoven ? À quoi ressemblent le musicien et l’être en proie aux vertiges de la création ? En 1922, Bourdelle donne une réponse à la plume et à l’encre brune, dans un étrange monochrome évoquant une gravure à l’eau forte : le compositeur est un homme soumis aux tourments de l’âme, refermé sur lui-même, prostré par l’inspiration qui le frappe.
Lorsque Bourdelle met son activité graphique au service de sa sculpture, il s’emploie souvent à mettre en valeur ses travaux déjà réalisés. Tournant autour d’une sculpture, tel un visiteur, il semble vouloir juger de l’effet charpenté d’un creux, donner toute sa place au socle dont il impose la forme et les proportions, en qualité de « sculpteur-architecte », comme il aime à se désigner.
Souvent confondu avec son masque mortuaire, qui enregistra du moribond la face émaciée, ce masque pris « sur le vif » fut réalisé par le sculpteur Franz Klein. Pour mener à bien son buste de Beethoven, Klein fut autorisé à prélever sur le compositeur une empreinte en plâtre de son visage, laquelle exigeait que l’on protégeât ses yeux et sa bouche et qu’il respirât par des tubes insérés dans son nez.
À Montauban, sa ville natale, le tout jeune Bourdelle remarque chez un libraire un portrait de Beethoven avec lequel il partage le front haut, les yeux de feu et la coiffure fougueuse. Physique, l’identification ne tarde pas à devenir artistique.
Par la photographie, décisive dans sa pratique artistique, Bourdelle documente et revisite tout à la fois son œuvre. Tandis que certaines prises de vue relèvent de la simple monstration, de l’enregistrement du visible, d’autres représentent Beethoven selon des artifices scénographiques – un socle singulier, un drapé savant, un fond neutre au milieu de l’atelier.
Vers 1903, peu après l’achat par l’État d’un de ses bustes du compositeur, le sculpteur dépose dans un cahier d’écolier les témoignages d’une reconnaissance attendue et y consigne ses questions comme ses doutes sur la création.
Manifestant une volonté incessante d’engranger, découper et classer, Bourdelle a conservé dans ses archives et sa bibliothèque les sources iconographiques et intellectuelles de sa hantise.
Après la mort du sculpteur, survenue en 1929, la fortune critique du thème beethovénien dans l’œuvre d’Antoine Bourdelle fait l’objet de nombreux articles et publications, signés Guy Chastel, Émile Schaub-Koch, Michel Dufet ou Dorothea Kaiser.
Comissaire
Colin Lemoine, responsable du fonds de sculptures au musée Bourdelle
Conservateurs associés
Claire Boisserolles, responsable des archives, de la documentation et des bibliothèques au musée Bourdelle
Stéphane Ferrand, responsable du cabinet d’art graphique et des photographies au musée Bourdelle
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